Préserver notre intimité numérique passe par la défense du chiffrement

La Quadrature du Net a pris connaissance de dossiers écrits par les forces de l'ordre et des magistrats dans le cadre d'un procès criminalisant le chiffrement. Nous nous opposons à cette pratique car pour nous, loin d'être un danger ou la promesse du chaos, le chiffrement est un moyen de préserver notre intimité en ligne.

Récemment, La Quadrature du Net (LQDN)1 a publié une tribune intitulée « Attachés aux libertés fondamentales dans l’espace numérique, nous défendons le droit au chiffrement de nos communications »2 dans le journal Le Monde, tribune que nous avons décidé de signer3.

Cette tribune a été impulsée suite à l’accès aux dossiers du procès dit du 8 décembre4 par LQDN. En lisant les rapports de la DGSI (les renseignements intérieurs, Police) et du PNAT (parquet antiterroriste, Justice), La Quadrature note que la promotion ou l’utilisation de logiciels ayant des fonctionnalités de chiffrement y est retenue comme élément à charge. Cela concerne des applications aussi banales que Signal (une alternative à WhatsApp), Protonmail (un service email Suisse), Jitsi (visioconférence), Tor (outil d’anonymisation), et même des fonctionnalités activées par défaut dans nos téléphones (le chiffrement du stockage). Certains de ces logiciels sont utilisés par plus d’un milliard de personnes à travers le monde, on ne parle donc pas ici d’usages de niche ou anecdotiques. Et pourtant, selon ces institutions, l’usage des applications serait révélateur d’un “comportement clandestin”, de personnes à la recherche “d’impunité”.

Aujourd’hui, nous ne savons pas si ces accusations seront retenues par les juges, ni ne sommes des expert·es en droit. Nous ne connaissons pas tout le dossier, ni tous les faits, et en interne, nous n’avons pas toutes et tous la même sensibilité vis-à-vis des accusé·es. Mais nous sommes convaincu·es que, peu importe ce que la justice vous reproche, il n’est pas acceptable que l’utilisation du chiffrement puisse être envisagée comme un élément à charge lors d’un procès, particulièrement de la part d’institutions.

Loin du fantasme criminel, le chiffrement est un outil essentiel du numérique pour assurer le respect du droit à la vie privée — droit constitutionnel5 nécessaire au processus démocratique. À Deuxfleurs, opérateur·ices et usager·ères se connaissent et ont des relations beaucoup plus profondes que la relation contractuelle déshumanisée que l’on entretient avec les GAFAM. C’est une volonté de notre part : nous travaillons à créer des usages du numérique plus conviviaux et humains. Cela implique de respecter l’espace de chacun·e : je ne souhaite pas être exposé·e aux conversations privées que mes camarades ont avec leur famille ou dans leur couple.

Il ne s’agit en réalité que de reproduire la séparation des espaces du monde réel. Dans l’espace privé (dans ma maison) au sein de mon groupe d’ami·es ou de ma famille, je peux baisser la garde : je sais que je ne serai pas jugé·e sur ce que je dis, sur ce que je pense — je peux expérimenter ou me reposer loin du tumulte de la vie publique.

Afin de préserver cette intimité, nous avons mené plusieurs actions concrètes : mise en place une charte pour les opérateur·ices ; sélection de logiciels chiffrant les données personnelles ; fonctionnalités de chiffrement (Element/Matrix, Cryptpad, Jitsi) ; et développement (en cours) d’un service d’emails chiffré (Aerogramme).

Bien loin du climat d’anxiété semé par les médias dominants et la police, ce besoin d’intimité numérique ne nous transforme pas en clandestins, nos existences n’en deviennent pas invisibles. Nous continuons de faire partie de la société, d’y vivre, d’y travailler, de nous déplacer, et parfois, nous tentons même d’y avoir une action citoyenne.

Il y a bien entendu plein d’autres raisons de défendre le chiffrement, nous avons volontairement voulu nous limiter à celles qui nous animent concrètement en ce moment. En attaquant cet outil qu’est le chiffrement, c’est notre autonomie qui est doublement attaquée : d’abord à l’échelle individuelle, dans la possibilité d’avoir des espaces intimes dans le numérique, et à l’échelle collective, dans la viabilité de notre projet d’entre-hébergement, qui présuppose que l’espace intime de chacun·e soit respecté pour fonctionner correctement.

Opposons-nous à la criminalisation du chiffrement, protégeons le droit fondamental au respect de la vie privée !

1

Une association de défense des libertés fondamentales sur Internet

2

« Attachés aux libertés fondamentales dans l’espace numérique, nous défendons le droit au chiffrement de nos communications » publiée le 16 juin 2023 dans le journal Le Monde.

3

Liste des signataires sur le site de La Quadrature Du Net

4

Un libertaire, “Libreflo”, a été arrêté après son retour d’un séjour au Rojava, une zone Kurde du nord de la Syrie, en guerre contre Daesh. À travers son expérimentation du confédéralisme démocratique, l’expérience du Rojava est saluée à gauche. L’affaire est documentée en longueur sur Wikipédia et par Ritimo.

5

V. Mazeaud, « La constitutionnalisation du droit au respect de la vie privée », Juin 2015, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 48 (dossier : vie privée), pp. 7 à 20, (dernier accès le 10/06/23).