1985

Une évocation du rail en Belgique en l'année du cent-cinquantenaire des chemins de fer en Belgique

Introduction

L’idée d’un petit exercice amusant m’est venu en retranscrivant mes tous premiers voyages en train à travers la Belgique: comparer le “tour” fait un jour en 1985 et le refaire “sur papier” en 2025.

Une première constatation : par rapport à 1985, les temps de parcours ont peu évolué voire sont même plus longs pour certains!

Le paysage ferroviaire belge de l’époque

1985, est une année “faste” pour les chemins de fer belges, ils fêtent leur 150 ans mais la SNCB est toujours convalescente de l’électrochoc du 3 juin 1984 et de la mise en place du plan drastique de restructuration qui vit la suppression de nombreuses sections de lignes et de centaines de points d’arrêts dont beaucoup en Wallonie et parfois sur des lignes rouvertes et électrifiées à grands frais dans les années 1970 comme la ligne 31 entre Ans et Liers dans la région liégeoise.

En 1985, il y a moins de trains qui circulent par rapport à aujourd’hui.

Le matériel roulant, lui, par contre a bien évolué depuis 1985, c’est une certitude!

En 1985, il y a encore pas mal de rames tractées par des machines diesel des séries 51, 52-54, 55, 62-63, de vieux autorails à caisse à unique série 44 et 45 et quelques 43, la majorité des automotrices sont des “classiques” qui vont de la 010 à la 782. Les quadruples et les breaks forment ce qu’il y a de plus moderne. Les voitures les plus représentées sont les voitures du type M4 que l’on retrouve dans les trains IC mais aussi dans les trains P. A côté de ces voitures modernes, il y a les I6 en trafic international mais il y a encore des I1 des années 1930 sur les trains vers Luxembourg au départ de Liège! On trouve encore de nombreuses voitures M2 et les M3 aussi qui sont cantonnées à la relation IR Zottegem - Gent - De Panne et nombre de voitures K sur les trains L et P. Autour de Gent, les dernières voitures L à portières latérale (nos “slam-doors”) viennent de disparaître définitivement, on pouvait encore en croiser quelques -unes autour de Gent.

Les dessertes transfrontalières entre Arlon et Luxembourg sont maigres comparé à aujourd’hui, un train IC toutes les deux heures et quelques trains P omnibus aux heures de pointes; on est loin de la fréquence horaire des IC aujourd’hui en plus d’un L toutes les trente minutes tout au long de la journée en semaine du moins.

Et en 1985, pas de TGV et encore moins de LGV, les premiers projets arriveront avec les années 1990.

La vitesse de référence la plus élevée sur le réseau est 140 km/h, il faudra encore attendre un peu pour avoir une première section à 160 km/h entre Tournai et Mouscron sur la ligne 78 et un étrange dispositif en matière de signalisation pour autoriser le 160 : un “double vert”!

Le trajet effectué le 1er juillet 1985

En 1985, j’étais adolescent et comme le hobby ferroviaire était tout nouveau, tout était à découvrir, à apprendre et il y avait une certaine impatience de partir à la découverte du plus grand nombre de lignes ferroviaires belges. A vrai dire, la passion avait commencé déjà bien avant mais en 1984, lorsque j’ai commencé à prendre le train pour aller à l’école chaque jour, elle s’est développée. Les seuls trajets que je connaissais étaient celui du parcours scolaire entre Herstal et Liège-Guillemins et aussi celui vers Oostende lorsque nous allions en vacances. En mai 1985, je me souviens avoir visité l’atelier central de Mechelen (Malines) lors d’une porte ouverte pour les 150 ans du rail en Belgique.

J’attendais donc juillet avec impatience pour partir à la découverte du réseau ferroviaire belge grâce à une carte libre-parcours qui s’appelait B-Tourrail et qui consistait en une carte réseau valable huit jours à choisir dans une période de seize. J’avais économisé de mon argent de poche pour pouvoir me payer deux cartes sur le mois et j’avais même pu m’offrir la version 1ère classe. Il existait un tarif junior si bien que ça n’était pas très cher vu la liberté offerte avec cette carte. A l’époque, pas de Go Pass ou autre Youth Ticket comme en 2025. Il faudra encore attendre 1989 pour que les premiers Go Pass permettent aux jeunes de voyager pas cher en Belgique! Jusque là, il n’existait rien à part les réductions familles nombreuses ou les billets 1 jour à la Mer/en Ardenne ou Week-end (également limité à la mer ou à l’Ardenne) pour avoir une réduction.

Le premier juillet 1985 était un lundi et nous étions probablement arrivé en vacances à la mer le samedi déjà, c’était ma grand-mère qui nous conduisait en voiture mais il se peut que j’y sois allé en train, je ne me souviens plus.

Il est un peu plus de six heures trente lorsque je me lève de façon à pouvoir prendre le tram à 7 h 52 à l’arrêt du Casino à Middelkerke. Arrivé à Oostende-Station à 8 h 15, il me reste encore vingt minutes pour atteindre le premier train qui part à 8 h 35. D’Oostende, pas le choix, il faut au moins aller jusqu’à Brugge pour avoir une bifurcation possible mais ce n’est pourtant pas ce que je fis.

L’IC 315 vers Köln-Hbf est donc mon premier train et il est composé de voitures I6 et peut-être une voiture DB en renfort et tracté par une locomotive de la série 16 ou 18 qui sont quadri-tensions et autorisées vers l’Allemagne. Je n’ai pas noté les numéros des véhicules pour cette première aventure à quelques exceptions près… chose qui deviendra une habitude à partir des voyages faits en décembre de la même année. Nous voici donc partis à travers la Flandre pour rejoindre Bruxelles-Nord où nous arrivons à 9 h 55.

Depuis que j’avais visité l’atelier central de Mechelen, une idée m’obsédait, emprunter une des curieuses automotrices doubles qui semblaient bien plus vieilles que celles que j’avais l’habitude de prendre pour aller à l’école. C’est chose faite avec le train suivant (L 6309) de Bruxelles-Nord à Antwerpen-Centraal. Ces automotrices sont, à l’époque, les plus anciennes du parc SNCB et ne peuvent circuler que sur les lignes équipées de quais hauts. Elles ont un marchepied rabattable. Le confort est assez semblable aux autres sauf peut-être en première classe où les sièges ne disposent pas d’appuie-tête. La première classe est aussi juste au-dessus du bogie, ça tangue un peu.

Nous quittons donc Bruxelles-Nord à 10 h 40. Il faut 55 minutes pour rejoindre Antwerpen-Centraal où nous arrivons à 11 h 35 avec un arrêt de quelques minutes à Mechelen pour laisser passer l’IC Bruxelles - Amsterdam assuré soit en automotrices “Hondekop” bleu marine ou une rame réversible composé d’une locomotive série 25.5 tractant ou poussant une rame mixte composée de voitures I4 ou I5 de la SNCB et des voitures des Nederlandses spoorwegen dont la voiture-pilote.

D’Antwerpen-Centraal, nous poursuivons avec le train IR 1610 vers Leuven assuré en automotrice classique, il desservait Lier, Heist-op-den-Berg et Aarschot. Dans cette dernière gare, il y avait une correspondance immédiate et quai à quai avec un autre IR vers Hasselt via Diest. Ces relations ont fusionné en 1988 pour former un IR Antwerpen - Aarschot - Hasselt - Liège qui n’existe plus en 2025. Arrivé à Leuven à 13 h 13, il me faut attendre 14 h 01 pour poursuivre avec le train L 7412 vers Ottignies. La ligne à cheval sur la frontière linguistique a été le théâtre d’un accident mortel à la fin des années 1990 où deux trains sont entrés en collision suite à la mauvaise compréhension (?) entre les signaleurs de Leuven et d’Ottignies. Une rame à vide d’automotrices classiques avaient quitté Wavre à contre-voie et sans autorisation et avait percuté de plein fouet la “Sprinter” à hauteur de Pécrot. Un douloureux souvenir pour le jeune cheminot que j’étais à l’époque de l’accident. Depuis lors, la sécurité des circulations a été renforcée avec la TBL 2 et puis l’ETCS, franchir un signal à l’arrêt est techniquement impossible aujourd’hui.

Arrivés à Ottignies à 14 h 38, nous avons juste le temps de changer de quai pour emprunter l’IC 988 vers Bruxelles-Nord composé d’AM “Break” de la première série (301 à 335). Les sièges de première classe étaient recouverts d’un autre tissus que celui utilisé ultérieurement ou dans les voitures M4. Notre train quitte Ottignies à 14 h 46 pour arriver à Bruxelles-Nord à 15 h 11. Les trains de la relation Luxembourg - Bruxelles étaient souvent sujets à des retards. Avant 1984, les prédécesseurs de ces trains, les semi-directs reliaient Luxembourg à Knokke et Blankenberge, la plus longue relation de la SNCB en terme de kilomètres.

Il devait être à l’heure car ce jour-là, j’ai pu directement emprunter l’IC 689 en direction de Knokke et Blankenberge qui partait à 15 h 17 de la gare du Nord et composé lui aussi d’automotrices “Break” mais de tranches plus récentes qui étaient toujours en cours de livraison d’ailleurs. Une heure et une minute plus tard, j’atteignais Brugge. Une petite anecdote concernant les bogies “Wegmann” des “Break”, ceux-ci durent être adaptés car les riverains de la ligne 50 A entre Bruxelles-Midi et Gent-Sint-Pieters se plaignaient de fortes vibrations lors du passage des trains composés parfois jusqu’à six automotrices accouplées.

Vu que j’ai encore un peu de temps avant de rentrer, je décide de parcourir la petite ligne vers Zeebrugge. En 1985, il n’y a qu’une gare qui aujourd’hui s’appelle Zeebrugge-Dorp et qui est desservie hors saison estival, en été c’est Zeebrugge-Strand qui est desservie. J’emprunte donc le train P 4018 avec un départ à 16 h 30 vers Zeebrugge, arrivée là-bas à 16 h45. Quatre minutes plus tard, le train repart dans l’autre sens comme train P 4019 vers Brugge (arrivée à 17 h 04).

Et pour finir cette première journée, retour à Oostende avec l’IC 714 Bruxelles-Nord - Kortrijk - Brugge - Oostende avec un départ à 17 h 20 de Brugge et une arrivée à 17 h 37 à Oostende. Les trains de cette longue relation étaient formés d’une locomotive diesel série 51 et de voitures M2. Seule la section Bruxelles - Denderleeuw était électrifiée à l’époque mais la décennie 1980-1990 verra beaucoup de lignes être électrifiées pour réduire les coûts d’exploitation à terme. Les locomotives série 51 étaient des CC assez massives et impressionnante avec leur moteur Cockerill. Construites en 93 exemplaires entre 1961 et 1963 et aptes à 120 km/h, on les retrouvait en tête de diverses relations au départ de Schaarbeek et atteignaient même Lille en 1985. Plusieurs ont été préservées et d’autres ont fini leur carrière devant des trains de travaux en Italie notamment sans parler de la 5101 qui connut un destin un peu hors du commun de la série mais ça, c’est une autre histoire!

Et si le tour se faisait aujourd’hui?

Si nous faisions le même trajet en 2025, nous partirions d’Oostende à 8 h 42 avec l’IC 508. Depuis la mise en service du Thalys, devenu Eurostar rouge, les trains IC Oostende - Köln n’ont pas survécu, la seule alternative aux Eurostar et ICE est la relation S 41 Liège - Aachen-Hbf… Notre train est composé de deux locomotives série 18 mais pas celles de 1985! Il s’agit des Vectrons de Siemens et d’une rame bigarrée formée de voitures M7 et de voitures I10. L’arrivée à Bruxelles-Nord est fixée à 10 h 05 soit un gain de temps de 3 minutes par rapport à 1985 et ce malgré d’important travaux. Cela tient au fait d’arrêts prolongé à Brugge et Gent notamment. En 1985, les horaires étaient serrés au maximum, ce qui n’était pas sans poser de problèmes…

Pour aller à Antwerpen-Centraal en mode “omnibus”, nous empruntons le train S 1959 qui démarre à 10 h 38 et arrive à Antwerpen à 11 h 55 soit 1 h 17 à comparer avec les 55 minutes de 1985. Et c’est en Désiro que nous voyageons.

Pour rejoindre Leuven via Aarschot comme en 1985, nous empruntons l’IC 2912 composé de deux “break” qui sont de nos jours à trois caisses et modernisée en partie. Le train démarre à 12 h 30 et dessert les mêmes arrêts que le train IR de 1985 et Wezemaal en plus. En 1985, Wezemaal était desservi uniquement par trains P. Nous arrivons à Leuven à 13 h 24, soit un temps de trajet de 54 minutes à comparer avec 49 minutes en 1985.

Direction Ottignies maintenant avec le train S 3084 avec départ de Leuven à 13 h 55 pour une arrivée à Ottignies à 14 h 38 soit six minutes de plus pour le même trajet avec les mêmes arrêts (43 minutes au lieu de 37)! Notre matériel est ici à nouveau une Désiro.

A Ottignies, nous empruntons l’IC 2135 venant de Luxembourg et composé aujourd’hui de voitures M6 et d’une locomotive série 13. Départ d’Ottignies à 14 h 44 et arrivée à Bruxelles-Nord à 15 h 17 soit 33 minutes de trajet contre 25 en 1985. L’énorme chantier de mise à quatre voie y est sans doute pour quelque chose, il faudra voir les temps de parcours une fois les travaux achevés.

A Bruxelles-Nord, nous empruntons le train IC 1536 en direction de Blankenberge, dont le départ est fixé à 15 h 29 pour une arrivée à Brugge à 16 h 26 soit 57 minutes de trajet pour 61 en 1985; gain de temps minime donc. Le train est composé de voitures M7 en mode rames-bloc avec voiture pilote et voiture motrice.

Il ne nous reste plus qu’à faire notre aller-retour jusqu’à Zeebrugge-Strand que nous effectuerons encore une fois en Desiro. Pour ce faire nous empruntons, à l’aller le train L 586 dont le départ est à 16 h 34 pour une arrivée à 16 h 50 soit 16 minutes, ce qui normal puisque le trajet est un petit peu plus long en termes de kilomètres. Pour repartir, nous restons dans la Desiro comme autrefois et repartons avec le train L 567 qui repart à 17 h 07 et arrive à Brugge à 17 h 22. Le trajet retour est une minute plus rapide!

Et pour rejoindre Oostende, nous emprunterons l’IC 1837 en provenance d’Antwerpen et composé de voitures M6 et d’une locomotive série 18 dont le départ est prévu de Brugge à 17 h 38 et une arrivée à Oostende à 17 h51, soit 13 minutes de trajet contre 17 pour la traction diesel d’antan. Nous noterons qu’en 1985, en traction électrique les temps de parcours variaient de 13 à 15 minutes selon le type de matériel (AM 800 ou rame tractée).

Conclusion

Ce que nous constatons en premier lieu, c’est que les temps de parcours sont souvent plus longs de quelques minutes ou alors les gains de temps obtenus par les nombreux travaux de modernisation sont assez dérisoires par rapport à il y a quarante ans.

Comme évoqué plus haut, les horaires sont plus distendus aujourd’hui qu’à l’époque et cela tient sans doute au fait qu’ils incluent des restrictions dues à des travaux mais je pense aussi que cela a pour but d’embellir un peu les statistiques de ponctualité car celle-ci joue un rôle important dans les éventuelles sanctions financières que la SNCB peut subir si ses trains sont en retard. Dernier élément à prendre en compte : le nombre de voyageurs transportés et le nombre de trains en circulation est bien plus important qu’en 1985!

Je reste cependant, certain que l’on pourrait faire mieux quand même!

J’espère que ce petit retour dans le passé aura éveillé quelques souvenirs et si le cœur vous en dit, rendez-vous dans un prochain article pour une autre “virée” ferroviaire et pour découvrir d’autres aspects du rail en Belgique en cet été 1985. Il paraît que l’été de nos quinze ans est le plus beau, je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ce fût le cas!